Victor Hugo

À trente ans, Hugo s’est fabriqué un personnage. Les journaux le traitent comme, de nos jours, en rocker à succès. On parle de lui en périphrases : « l’auteur d’Hernani », « l’auteur de Notre-Dame de Paris ». Il a des fans. On le hait ou on l’adore, forcé de reconnaître qu’avec ses allures de grand d’Espagne, il est le chef de file du romantisme.

Aux premiers jours de 1833, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, on répète « Lucrèce Borgia » qu’il met lui-même en scène. Sur scène, une jeune femme éblouissante qui joue un petit rôle, celui de la princesse Négroni, lance sa réplique : « Mon Dieu, qu’est-ce qui remplit tout le cœur ? » Lorsque le jeune seigneur vénitien répond : « l’amour », elle est, tournée vers l’auteur et le regarde. Sans doute, est-ce sa manière de donner un sens à la question, et peut-être à la réponse.

L’auteur n’a encore rien du luxurieux que ses appétits tyrannisent. Plus riche de fantasmes que d’expérience, il tient à distance ses admiratrices, et se refuse aux princesses de théâtre. Peut-être même a-t-il besoin, en ce moment précis, de croire à la vertu car il souffre d’une double déception, sa femme, se refuse à lui, et file avec Sainte-Beuve, son meilleur ami, un amour parfumé d’odeurs de fiacres.

Il n’est pas question de céder aux avances de Mademoiselle Juliette qui devra donc faire le premier pas puis le suivant et tous les autres. Acculée par les dettes, elle finit par lui demander de l’aider, ce qu’il accepte. Et quinze jours après la première représentation, elle écrira : « Oh ! Ce soir ce sera tout ! Je me donnerai à toi toute entière. » Elle ne croyait pas si bien dire.

Dans la nuit du 16 au 17 février 1833,  jour de Mardi gras, ils deviennent amants.

Dans  le chapitre des « Misérables », intitulé le « 16 février 1833 » Victor raconte la nuit de noces de Cosette et de Marius et donne à ses futurs biographes, une double leçon d’écriture et de maintien :

« Sur le seuil des nuits de noces, un ange est debout, souriant, un doigt sur la bouche. L’âme entre en contemplation devant un sanctuaire où se fait la célébration de l’amour. »

Est-ce déjà, ce soir-là, « ce qui remplit tout le cœur» ? Elle est pour lui un révélateur, et l’on peut bien dire que de cette nuit-là découle toute une vie. Vie d’amour et d’esclavage entre ces deux êtres, car Victor se révèle petit à petit d’une jalousie féroce et pathologique. Il faut dire qu’elle a sans doute beaucoup à cacher de ses amours qui ont frôlé la prostitution, et ses dettes de bêtes de luxe l’entraînent vers le gouffre, la mettant à la merci des protecteurs les plus fortunés. Il la veut toute entière et pas seulement comme elle croyait le dire. Bien entendu, il voudrait la délivrer de ses créanciers mais les sommes à débourser sont telles que les recettes de Lucrèce Borgia et de Marie Tudor, même s’il n’avait pas quatre enfants et une maison à tenir, n’y suffiraient pas.

D’autres part, il ne peut d’un coup de baguette magique transformer cette croqueuse de diamants en une jeune femme prête à attendre son amant, au coin du feu en raccommodant ses vêtements. Bien que la situation le révolte et le dépasse il y fait face, souffre et tempête. Ils se quittent, constatent qu’ils ne peuvent plus vivre l’un sans l’autre et petit à petit, Juliette renonce à la scène et Victor l’entretien ; voilà, elle lui appartient et ne sortira bientôt plus de chez elle sans lui. Cet enfermement durera douze ans, le temps nécessaire pour que l’éblouissante beauté de Juliette s’estompe, et que s’achève aussi une autre relation amoureuse. En juillet 1845, le vicomte Hugo, nouvellement nommé pair de France est pris en « conversation criminelle » avec la jeune et blonde Léonie Biard qu’il fréquentera pendant sept ans à l’insu de Juliette. Après elle, il en viendra d’autres, car Victor ne résiste plus, si bien que cette passion des femmes tournerait presque en maladie du bas ventre, mais elles ne font que passer ; Juliette reste et suit son Victor jusqu’au fond de l’exil. Ce n’est qu’après leur retour à Paris en 1870 qu’ils vivront sous le même toit.

C’est par Juliette que s’est révélée une sensualité dont elle fut la victime mais c’est en elle aussi que s’accomplit la soif d’éternité, cette autre forme du désir dont il fait preuve dans toutes les lettres de cette fin de vie :

« Entrer dans l’éternité avec toi, si Dieu le veut et il le voudra, c’est là mon bonheur. »

Au dernier soupir de Juliette, Victor Hugo cessa d’écrire, il ferma son encrier pour toujours.

L’homme politique

Victor Hugo est élu à l’Académie Française en 1841 et Pair de France en 1845. Il perd sa fille Léopoldine en 1845 et semble chercher dans la politique un apaisement à sa douleur.

Emu par les souffrances du peuple en 1848, Victor Hugo devient républicain et affiche son hostilité à Napoléon III qui le fait exiler à Jersey, puis à Guernesey. En 1859, il refuse l’amnistie de l’Empereur. Pendant cet exil qui dure près de vingt ans, il produit la partie la plus riche de son oeuvre.

De retour en France en 1870, Victor Hugo est accueilli comme le symbole de la résistance républicaine au second Empire. Il est élu député de Paris, puis sénateur. Sa production littéraire cède alors le pas à la politique. Il publie essentiellement des œuvres commencées pendant son exil.

Sensible aux mystères du monde, Victor Hugo essaye d’accorder sa vision spirituelle de l’univers à une conception rationaliste et optimiste de l’histoire de l’humanité. Au fil des ans, il devient foncièrement anticlérical et dénonce avec force l’obscurantisme.

Ses funérailles nationales et civiles à Paris sont grandioses, car il a été, de son vivant, le plus populaire des écrivains et un grand défenseur de la République.

 

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