Juliette Drouet

Quand Victor Hugo devient son amant, pendant les représentations de « Lucrèce Borgia », Julienne Gauvain, dite Mademoiselle Juliette, n’a pas encore vingt-sept ans.

Née à Fougères le 10 avril 1806, orpheline avant l’âge de deux ans, cette petite Bretonne d’origine très modeste, reçoit des sœurs de l’Adoration perpétuelle une véritable éducation. Ce qu’elle fit en sortant du couvent, nul ne le sait. Quand elle débute au théâtre, elle a une petite fille de trois ans, que lui a « donnée » comme on dit, Pradier, sculpteur à la mode, qui ne lui a pas donné grand-chose d’autre.

Bien qu’on la reconnût professionnellement davantage pour sa grande beauté que pour son  talent de comédienne, elle interpréta grand nombre de pièces dans de petits rôles. Tout ce que Victor dit d’elle laisse penser qu’elle avait tout pour être une grande comédienne : la grâce, l’écoute et une sensibilité à fleur de peau. C’est peut-être cette grande sensibilité qui lui joua des tours dans les moments cruciaux de sa carrière. Comment surmonter la peur et résister à la pression des premières représentations quand tout le monde était contre elle. N’y avait-il pas dans la salle les partisans de Dumas pour la siffler parce qu’elle était la maîtresse d’Hugo, les hugoliens animés par Adèle pour la huer et, sur scène, d’autres actrices pour la jalouser.

Théophile Gautier n’hésite pas à encenser la princesse de théâtre :

« Ses épaules de marbre blanc, ses longs cheveux noirs, ses courbes suaves et cette carnation laiteuse des brunes, ne sont pas tout, Juliette a, dans les yeux, une flamme, et dans le sourire tant de promesses. »

On lui prête des amants à foison, jeunes gens désargentés qui la ruinent, princes russes qui l’entretiennent richement. Il lui arrive de vivre dans une espèce de faste, l’escarcelle vide. Elle a une garde-robe de courtisane et des dettes abyssales. L’entrée en scène de Victor va tout changer. Pour la première fois dans sa vie, Juliette va aimer.
La jalousie d’Hugo s’avère plus insupportable encore que les dettes dont elle est accablée. En rentrant chez elle, il fouille dans les placards et ouvre son courrier. Ils se blessent, se déchirent, esquissent des ruptures comme d’autres se suicident, en laissant derrière eux ce qu’il faut pour qu’au dernier moment, la tragédie tourne court et se transforme en assurance d’amour.

Finalement, non sans mal, Juliette renonce à la scène et Victor l’entretien dans un petit appartement duquel elle ne peut plus sortir sans lui, ne serait-ce que pour aller s’acheter une brosse à dents. Ce qui va contribuer aussi à les rendre inséparables c’est le même drame qu’ils rencontrent tous deux, en perdant presque simultanément leur filles respectives Léopoldine et Claire.

Tout le monde connaît très bien Victor Hugo. Il est temps de découvrir Juliette qui vécut dans l’ombre de son grand homme car on s’est plu à ne voir en elle que la courtisane, la comédienne ratée, la maîtresse passive et captive, le miroir du soleil. Les lettres qu’ils se sont écrites révèlent l’autre face du miroir. Ainsi apparaît celle qui fut sans doute l’une des plus grandes amoureuses et l’une des femmes de lettres les plus prolifiques de son siècle.

Il faut aussi rendre grâce à Juliette sans qui nous n’aurions pas eu un Victor Hugo si éblouissant. Il est évident que l’amour quelle avait pour lui était la source inépuisable de son talent. Toujours là pour le servir et prête à tout pour le protéger ; elle lui sauve la vie pendant le coup d’état de Napoléon III et par la même occasion, sauve la malle du manuscrit des Misérables ; elle le suit en exil pendant dix neuf ans, aime ses enfants comme s’ils étaient les siens, passe sur toutes ses infidélités et recopie la majeure partie de son œuvre.

Elle lui disait :

«  Si vous avez du génie, moi j’ai de l’amour et pour seule ambition d’être aimée de vous. Nous faisons chacun de notre côté notre petit travail, toi tu composes un chef-d’œuvre, moi je t’aime. Il me semble toute modestie mise à part que mon œuvre ne sera pas inférieure à la vôtre».

Et comme elle a eu raison ! Grâce à ses lettres, Juliette est reconnue aujourd’hui, comme l’une des femmes écrivains les plus brillantes de son siècle.